Israël Nzila Mfumu est un photographe lushois né à Kinshasa en 1994. Son travail se concentre principalement sur les relations personnelles et les influences de l'”autre” dans nos réalisations personnelles. Dans ses photographies, il analyse l'”autre” non seulement en tant qu’individu social, mais aussi en tant que “l’autre de soi-même”. Les regards, les corps et les émotions vives sont au cœur de son travail, redéfinissant ainsi la notion d’identité.
Il a participé à la Huitième Rencontre de Photographie de Lubumbashi avec sa série intitulée “Vie nocturne”, qui interroge la corrélation entre bonheur personnel, recherche de survie et bien-être social. Cette analyse fait défiler la ville de Lubumbashi de nuit, suscitant des réflexions sur les véritables facteurs d’une vie heureuse.
En novembre 2023, il expose la première partie de sa série “GIZA” à l’Institut Français de Lubumbashi. GIZA est une réflexion sur les déterminants socioculturels, en particulier ceux qui sont relationnels. Cette première partie de GIZA (GIZA 1) aborde à la fois l’image sociale de la femme et les horreurs commises sur les femmes mutilées à la machette à l’Est du Congo.
À la Galerie D’Art Contemporain au Musée National de Lubumbashi, il expose la deuxième partie de GIZA (GIZA 2), dans laquelle il réfléchit aux influences que notre société exerce sur les enfants.
OMBRE
Le projet Giza comporte deux parties. La première est celle qui questionne les Influences socioculturelles que notre environnement a sur les enfants. Et la seconde partie est une sorte de résonnance à la première, car elle réfléchit sur des facteurs culturels qui peuvent contribuer à donner une certaine image clichée de la femme surtout en contexte de conflit armé.
Concernant les influences que notre société a sur les enfants : je me suis rendu compte qu’un peu partout dans nos quartiers ici à Lubumbashi les ainés se plaignent d’un changement négatif des comportements chez les jeunes. Ce constant, un peu général dans l’opinion, suscite une certaine désolation. Dans nos rues on est choqué devant un petit enfant qui insulte, qui vole ou qui lance un caillou dans les pare-brise d’une voiture. Au sein même de la jeunesse, la malhonnêteté, la corruption, et surtout le dénigrement de la femme deviennent monnaie courante. D’où vient que les comportements des tout petits enfants choquent et promettent d’être un « obstacle au développement » ? Cette question constitue le fondement de ce projet. Personnellement, je suis amené à trouver dans nos déterminations socioculturelles, et plus particulièrement dans nos relations mutuelles, une partie de la réponse à cette question. Je pense que les enfants sont les produits exacts d’une réalité socioculturelle dans laquelle les ainés leur font grandir. Les tout jeunes aujourd’hui, je le pense, agissent sous l’influence des facteurs qui proviennent de notre propre société, de notre propre culture. Notre environnement ne semble plus être un cadre qui façonne les comportements de plus jeunes.
À propos de notre regard de la femme : les statistiques montrent que le conflit à l’Est de la RDC depuis ses débuts a fait plus de victimes femmes que des hommes. Ce constat, qui d’une première vue peut être interprété comme reflet d’une population féminine plus nombreuse que la population masculine, est une vraie interrogation sur la façon dont nous considérons les femmes ainsi que sur notre façon de protéger la femme dans notre culture (qui, du reste, est en mutation) Qu’est-ce la femme ? Pourquoi les plus horribles exactions, telles que les mutilations, ont pour principale cible la femme ? Toutes ces questions ont traversées mon esprit chaque fois que j’avais accès à des rapports des ONGs condamnant les exactions à l’égard de la femme dans l’Est de la RDC. La série de photos qui constitue la seconde partie de Giza se veut de présenter métaphoriquement les souffrances de la femme et de réfléchir sur notre considération et notre relation culturelle envers celle-ci. Cette série va des plus simples souffrances à celles qui sont aujourd’hui considérées comme horribles par les médias et les ONGs.
DEMARCHE ARTISTIQUE
La technique que j’ai utilisée est un peu diversifiée. Par exemple, j’ai essayé de présenter un même enfant qui, dans une même photo, se retrouve dans deux cadres différents (différence de couleur et différence de peau). Cette façon de mettre côte à côte la même personne et dans les aspects visuels différents symbolise des états psychologiques et comportementaux opposés. Cela me semble plus expressif dans l’argumentation de ce qu’est l’enfant : le produit de ce qu’on fait de lui. Aussi en ce qui concerne la métaphorisation des souffrances de la femme, j’ai peint mon modèle en noir et je l’ai placé devant un fond rouge. Cela dans le but de trouver artistiquement la métaphore de la souffrance, bref de la laideur qui en est le symbole.
J’ai aussi essayé d’intensifier l’obscurité dans la plupart des photos comme symbole de la mauvaise influence sur les pensées de l’enfant. Et aussi comme symbole d’une culture réductrice de la femme. Le choix de la couleur rouge et noir entre dans cette métaphore. C’est de là que me vient l’expression « GIZA »1 qui est la métaphore de la quantité en lumière que la famille et la société doivent apporter à l’enfant pour sa croissance psychique.
«GIZA» C’est cette femme qui est une lumière voilée et qui pleure en silence.
« GIZA » c’est aussi l’image d’un type particulier de cadre de croissance comportementale du tout petit enfant, lequel cadre va déterminer ce qu’il sera dans l’avenir.
« GIZA » c’est un concept qui veut tenter de redonner à la culture son premier rôle dans le développement de la RDC.
« GIZA » c’est le cri d’un enfant qui veut qu’on lui apprenne des valeurs qui changeront sa mentalité dans l’avenir. Cette démarche vise, en outre, à renforcer l’idée déjà bien connue selon laquelle une bonne politique sociale est celle qui est préventive et dont les actions sont orientées à la base afin de préparer un meilleur avenir.